Le Bestiaire de Stan Manoukian
Postée dans les bois ou à l’orée d’une clairière, en plein soleil ou au crépuscule, me voilà observant discrètement et sans bruits des créatures inconnue. Petites bestioles aux grands yeux qui brillent dans la nuit, d’autres au regard espiègle, étonné, caractériel, souligné par un pelage si réaliste qu’on aurait envie de les caresser… Il y a aussi de grandes créatures impénétrables, à l’allure mystique, légendaire… Ces monstres mi-animal mi-végétal sont partout. Libre à nous d’éprouver à leur égard de la sympathie, de la plaisanterie ou de la méfiance. Nul besoin de les déranger, ni de les chasser, juste s’émerveiller avec une curiosité quasi scientifique de cet accord parfait avec la nature.
Remarquez comme ces dessins exceptionnellement précis et riches de détails se passent de vignette, de bulle, et de tout autre texte, pour nous plonger dans de merveilleuses aventures au parfum d’enfance. Les gestes, l’expression des visages, une végétation luxuriante digne des planches naturalistes et botaniques… Des dessins semblent tout droit sortis d’un carnet de voyageur du XIXème siècle, un voyageur qui se serait perdu dans un univers poétique, parfois nostalgique, que les œuvres de Stan Manoukian offrent au regard.
En bref, j’admire :
- la maîtrise technique
- le traitement des ombres et des lumières
- la précision et les détails
- la délicatesse et la pertinence des couleurs
- la charge émotionnelle
- l’immersion du spectateur dans l’œuvre
- la portée narrative
- l’appel à l’imaginaire
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Je suis heureuse de vous retrouver avec, pour ce mois de novembre, un aperçu du bestiaire de Stan Manoukian, dessinateur et scénariste français né à Paris en 1969.
J’ai fait la connaissance de Stan il y a quelques années maintenant, par l’intermédiaire de mon amie Caco, une excellente graphiste alésienne. Caco avait créé un petit groupe Facebook qui nous servait, avec d’autres artistes dont je vous parlerai plus tard, de « pause-café ». Stan en faisait partie.
A l’occasion d’un séjour à Paris, j’ai rencontré Stan « en vrai » dans son atelier du Marais. Cette première visite a été atypique. Une fois entrée dans cet atelier, je n’ai eu de cesse de répéter « cet endroit me dit quelque chose » ! Effectivement, bien longtemps au paravent, un dimanche, avachie sur le canapé, je regardais « Silence ça pousse », le magazine France 5 animé par Stéphane Marie et Noëlle Bréham. La rubrique « Pas de panique » montrait les conseils paysagés pour la coure de l’atelier ! De grands monstres avaient été imprimés et collés sur l’un des murs de cette coure, agrémentée de végétaux supplémentaires. Bref, le plus impressionnant et atypique est l’atelier, une vraie malle aux trésors, univers fourmillant d’objets, de maquettes, plein de choses !
Stan m’a accueilli avec beaucoup de gentillesse et m’a fait découvrir plusieurs facettes de son travail. Nous avons mangé chinois ou japonais, je ne me souviens plus exactement. Et la fois suivante nous avons partagé un café. Stan est toujours en train de bosser, même chez lui ! Si si, c’est vrai ! Coup de chance cet automne, nous nous sommes vus 2 fois lors de mon passage à Paris, et je le remercie sincèrement de ces moments partagés.
« Mais… » me diriez-vous. « Pourquoi parler de Stan maintenant ? » Eh bien parce que de beaux évènements sont en cours et à venir…
Tout d’abord ce mois-ci une belle expo à Blois dans le cadre du festival BD Boum (dont le montage a démarré en octobre). Le mois prochain, en décembre 2021 une exposition à la Haven Gallery à New York ou l’intégralité de ses œuvres seront inédites. Et parce que Noël approche et que chacun de ses livres et bon nombre de ses dessins sont autant d’idées cadeaux pour petits et grands !
Qui est tu Stan ?
Stan Manoukian est de ce genre d’artiste français rare qui, au XVIème siècle, aurait représenté le Nouveau Monde.
Passionné depuis l’enfance pour le dessin, son travail est précis, pointu, complet. Stan nourrit son imagination avec la science-fiction rétro, les films classiques de monstres et les romans d’écrivains tels que Edgar Allan Poe, Lovrecraft, Mary Schelley ou encore Jules Verne et HP Lovecraft.
Dessinateur incontournable de la scène contemporaine moderne, il nous transporte avec humour et poésie dans son univers fantasmagorique, véritable ode à la nature.
Internationalement reconnues, ses œuvres font l’objet de plusieurs expositions et de livres entre autres aux États-Unis, au Japon, en Australie, en France et plus largement en Europe
Stan, tu es un peu tombé dans la marmite étant petit, non ?
« Dès l’enfance j’ai baigné dans le domaine artistique avec mon père artiste peintre et ma mère dessinatrice. Comme tous les enfants je me suis mis à dessiner dès que j’ai pu tenir un crayon, je ne l’ai juste jamais lâché ! Mes parents ont eu également un commerce d’antiquités avec principalement des livres et des gravures. Tous ces ouvrages, peintures ou dessins ont bercé mon quotidien ».
Tu as grandi dans les 80’s, grand fan de BD, et tu construis son imaginaire et solidifies tes bases avec le travail de Enki Bilal, Moebius, Serge Clerc, Yves Chaland, artistes cultes de Métal Hurlant et maîtres de la SF (science-fiction).
« Je suis rentré à l’école Estienne en 1985 en section F12 avec l’idée de devenir dessinateur de BD. Cette idée ne m’a pas lâché même si à l’époque dire aux profs que l’on voulait faire de la BD était dénigré. »
Diplômé de l’école d’art Estienne en 1988, tu débutes en France et aux Etats-Unis en tant que dessinateur de BD, designer et storyboarder pour la publicité et le cinéma. Cette période te permet d’apprendre comment construire une histoire, comment la raconter, et comment travailler sur commande.
« Effectivement. Je rencontre Vincent Roucher et ensemble on compose le duo connu sous le nom de « Stan & Vince ». On se lance dans la bande dessinée, scénarise et dessine la série Vortex et Les Chronokids sur un scénario de Zep. »
Vince et toi travaillez souvent ensemble sur différents éléments visuels tels que les costumes, les décors, les créatures, les maquillages… Le peu d’indication généralement données te conduit à commencer la création de tes premiers monstres.
« Voilà, et très rapidement je me rends compte que j’adore ça et que mon imaginaire peut aller plus loin ! »
Où puises-tu ton inspiration ?
« Lorsque j’étais petit je regardais beaucoup de documentaires animaliers et les films du commandant Cousteau, j’adorais ça… Et puis si je remonte vraiment au plus jeune âge, je crois que c’est Jim Henson et son « Muppet Show » qui m’a donné cet amour des monstres et des créatures bizarres avec tout l’humour qu’il y a dedans. C’est très présent encore dans mon travail, je crois, je lui dois beaucoup ! Par la suite ça a été les films de la Hammer et les monstres Universal qui passaient au ciné-club. »
« L’imagination est quelque chose que j’ai toujours porté comme une valeur importante. La capacité de s’émerveiller de tout et de pouvoir créer des histoires ou des images à partir de la moindre source d’inspiration m’a toujours fasciné. Cette même imagination est ce qui m’a aussi conduit pendant longtemps à avoir peur du noir, des monstres se cachant sous mon lit ou dans les placards. D’ailleurs, si je suis vraiment honnête, je dois avouer avoir toujours cette frayeur enfouie en moi lorsque j’éteins la lumière le soir venu. »
Stan, tu puises une partie de ton inspiration dans les gravures du XIXe siècle et la peinture romantique. On retrouve des influences de Gustave Doré ou encore Franklin Booth pour leur travail à l’encre et le détail qu’ils apportent à leurs œuvres. A force de travail tu es parvenu à assimiler ces différents styles pour créer ta patte graphique avec une incroyable capacité à inclure un nombre incalculable d’éléments dans chacun de tes dessins sans pour autant que l’ensemble devienne illisible.
Tes sources d’inspirations sont beaucoup plus vastes…
« Entre autres on peut nommer Disney dont j’étais fan, les BD un peu fantastiques quand il y avait des monstres, des fées ou bien des géants j’étais aux anges, les films de monstres et de SF des 50’s, les romans de Lovecraft, d’Edgar Allan Poe, de Jules Vernes. Côté BD je m’inspire volontiers de Franquin et ses Idées Noires, E. P. Jacobs, Moebius, Yves Chaland, Richard Corben, Dave Stevens et Berni Wrightson qui m’a littéralement scotché avec son interprétation de Frankenstein. »
Plus tard tu t’intéresses à ceux qui ont influencé les auteurs que tu aimes : les illustrateurs américains du début du XIXème siècle, Virgil Finlay, Joseph Clement Coll ou Franklin Booth… ou bien les illustrateurs européens de contes et fables dans lesquels Walt Disney a puisé pour créer ses dessins animés tels que Granville, Beatrix Potter, Henrich Kley, Gustaf Tenggren ou Benjamin Rabier… Citons aussi aussi Jim Henson, Edward Gorey, Norman Lindsay, Ingres, William Bouguereau, plus récemment Dave Cooper, Joâo Ruas, Femke Hiemstra et James Jean.
« Mais il y en a tellement d’autres… Sinon les expos que je vais voir d’artistes du passé ou contemporains. »
« Mon inspiration est un gros mélange de divers influences puisées un peu partout, il n’y a pas un artiste plutôt qu’un autre qui m’inspire, c’est très difficile de dire quels éléments il en reste mais chacun a eu un impact plus ou moins direct. Je couche sur un support des choses que j’ai aspirés et qui m’inspirent : des images, des rencontres, des évènements, des émotions, des idées et bien d’autres choses encore…
Pour mon inspiration ce sont aussi mes recherches sur internet, les images de nature, des photos d’ambiance de pluie, de brume, des images de macrophotographie d’insectes ou de plantes. Les planches biologiques des vieilles encyclos, de Haeckel entre autres… Et puis il y aussi ma propre observation de la nature, des animaux et de tous les détails que je peux trouver intéressants. Je prends des photos quand je suis en déplacement ou en vacances. »
La nature c’est la vie !! C’est un sujet qui prend de plus en plus de place dans notre société, l’importance de la préserver et la respectée, nous sommes allés trop loin ! Mon univers « fantastique » n’est pas vraiment différent de ce qui existe, je n’invente pas grand-chose finalement si vous regardez bien autour de vous. Je crois que j’ai un gros besoin de m’évader à travers ce que je dessine, de reconnecter avec elle et de connecter les gens aussi, revenir à la source de ce que nous sommes et de là où nous venons et de donner de l’amour à la nature. Je me sens coupable et suis un citadin frustré en fait ! »
Le défi de Stan
En 2007 tu te lances un défi de grande envergure : dessiner 1 monstre par jour pendant un an. Finalement cet exercice quotidien dure 3 ans. Ton idée était d’explorer un domaine jusqu’au bout, pour t’’entrainer et voir ainsi comment tu pouvais faire évoluer ton style et tes créations.
De ce défi naît ton blog Diary of the Inhuman Species sur lequel tu postes sans relâche un nouveau monstre tous les jours… pendant 3 ans ! (cliquez sur l’image ci-dessous)
Et en 2009 la publication chez Ankama de ton livre Diary of inhuman species.
« Oui, c’est le premier recueil de mes dessins, scannés méticuleusement et magnifiquement imprimés en couleur. C’est le « Volume #1″ d’une longue série de livres réunissant mes dessins jusqu’alors inédits sur papier. Chaque exemplaire est livré avec de petits suppléments comme cadeaux (stickers, carte postale…) ! »
Tes dessins gagnent en complexité et ton univers de monstres s’enrichie sans cesse de nouvelles espèces plus intrigantes les unes que les autres. Tes monstres deviennent de plus en plus nombreux, de plus en plus massifs, et tu produis des œuvres d’une taille considérable !
Porté par ce succès, c’est sur ce monde que tu choisis de travailler, en continuant de développer ton propre univers et tes créatures étranges. Et pour cela, tu veux plus de temps pour élaborer tes projets en allant toujours plus loin.
« Effectivement, à ce moment le temps devient un obstacle à surmonter. »
Tu décides de vraiment prendre ton temps entre tes différentes productions pour élaborer les histoires de tes protagonistes, leurs mondes et leurs décors. De la même manière que tu avais de travailler pour le cinéma, tu construis des univers en abordant autant d’éléments que sont les décors, les ombrages des créatures, leurs style… prenant le temps d’effectuer tes recherches et de piocher dans tes inspirations afin d’évoluer en tant qu’artiste.
« Oui… J’ai commencé de manière assidue ce travail sur cet univers peuplé de créatures il y a un peu prêt 14 ans, à coté de mon travail, en dessinant un monstre par jour de manière instinctive, en essayant d’expérimenter sans avoir de message particulier à délivrer. Cet exercice m’a poussé de plus en plus loin à explorer de nouvelles techniques, formes, environnement ou ambiances. Maintenant je structure plus et je prépare mes expositions en choisissant un thème et en essayant d’en extraire ma vision. J’ai envie d’offrir une expérience émotionnelle à celui ou celle qui vient en galerie regarder mon travail, les transporter dans mon univers à travers les fenêtres que je pose sur les murs. J’aime laisser du mystère et laisser à chacun la liberté d’en faire sa propre interprétation afin de s’approprier son histoire en lui laissant quelques indices dans mes dessins… Je crois que l’art est fait pour donner des émotions aux gens et les faire voyager. »
Stan, tu t’inscris maintenant dans la génération du post lowbrow mondial, avec des compositions de plus en plus détaillées, fourmillantes de créatures oniriques qui nous rappellent la peinture romantique du XIXe. Ainsi, ton bestiaire de créatures parfois fantastiques parfois onirique, à mi-chemin entre végétal et animal, ou encore parfois venues des profondeurs abyssales nous transporte dans un univers fantasmagorique et surréaliste où la nature est omniprésente. Avec tes monstres gentils, tu nous enseignes comme vivent avec eux, comment les apprécier et ne plus avoir peur d’eux, ni de l’obscurité.
Une incroyable technique au service d’un esprit grouillant d’imagination
« Beaucoup de rencontres artistiques m’ont marqué quand je faisais de la bande dessinée, et tous ceux qui m’ont conseillé quand j’étais jeune. Régis Loisel a été l’un des premiers alors que j’avais à peine 18 ans, ses conseils sur la construction d’une image me servent encore aujourd’hui. Geoff Darrow qui m’a éveillé à travers son travail à l’amour du détail. Mike Kaluta, ou bien Dave Stevens avec lequel nous avons un peu travaillé avec Vince, qui était d’une gentillesse incroyable. Et évidement bien d’autres dessinateurs avec lesquels j’ai discuté et qui ont eu forcément un impact sur ma façon de voir les choses. […]
Et puis lorsque j’ai commencé à travailler sur mon univers avec mes bestioles, il y a plus d’une dizaine d’années alors que je postais régulièrement sur les réseaux (Myspace ! ), je me suis lié d’amitié avec Brandt Peters et Kathie Olivas deux artistes américains que j’ai rencontré par la suite. Ils ont été les premiers à exposer mon travail dans leur galerie à Albuquerque et à me donner des conseils très avisés sur la façon de construire une méthode de travail et de toucher un public. Je leur dois beaucoup de m’avoir donné toutes ces opportunités. »
Héritier de Gustave Doré et Franklin Booth qu’on a nommé tout à l’heure, on peut aussi indiquer Bernie Wringhtson et bien d’autres, tu affines une écriture graphique unique rappelant parfois la gravure du XIXème siècle, qui nécessite une précision à couper le souffle et une patience sans fin. Tes milliers de petits traits se superposent, se croisent, se range côte à côte grâce à une technique de hachures, de trames délicates et d’estompe produisant, au crayon, à l’encre ou à la mine de plomb, un rendu de gravure. Ainsi tu donnes vie à une faune magique. Je ne peux m’empêcher de penser au nombre de kilomètres de traits de crayon, de feutres et d’autres outils tu as parcourus !
Articulant tes compositions autour de tes créatures, tu nous donnes à voir des scènes extrêmement riches et détaillés où petites et grandes bestioles côtoient une nature abondante.
L’exploration de ton monde fantasmagorique te pousse vers des projets de plus en plus grands et ambitieux, testant diverses techniques, passant du dessin à la sculpture. Quelques mots sur tes sculptures ?
« Depuis longtemps je pratique le modelage, j’ai commencé professionnellement il y a longtemps alors que je travaillais en tant que sculpteur freelance pour des licences Walt Disney. Quand on dessine il est important d’avoir une vision en 3D des formes pour pouvoir les représenter, c’est assez naturel de passer au modelage et ça permet de comprendre encore mieux comment dessiner. J’ai commencé à faire des sculptures de mes bestioles lors de mes premières expositions aux U.S.A et au Japon. Le public là-bas est particulièrement friands de figurines. Surtout au Japon ! Pour moi c’est un autre aspect logique de mon travail, comme si mes créatures sortaient de mes dessins et prenaient vie en 3D. »
Penchons-nous plus en détail sur ton incroyable technique graphique. Comment travailles-tu ?
« Ma manière de travailler diffère un petit peu suivant ce que je dois faire et surtout de la taille et de l’ambition du dessin. Le point commun c’est que je fais quasi tout le temps des croquis de recherche avant de commencer. Je pars d’une idée, d’un animal ou d’un thème et je laisse mon esprit vagabonder sur le papier, c’est à ce moment que peuvent intervenir une partie de ma documentation. »
Tu commences donc souvent par des croquis réalisés à la main, dans lesquels tu vas surtout t’occuper de la composition globale de l’image. Le but étant au début de t’attarder plutôt sur les ombres, la lumière et l’ambiance globale.
Ensuite tu t’attaques progressivement aux créatures principales et secondaires de ton œuvre. Ce n’est qu’après ce croquis que tu vas le scanner pour l’imprimer à sa taille finale et le transférer à l’aide d’un crayon rouge tout en ajoutant les nombreux détails manquant sur ton premier croquis. On est d’accord ?
« On est d’accord ! Quand je suis satisfait d’une des recherches je scanne mon croquis et je l’agrandi sur ordi à la taille de mon dessin final, puis je l’imprime. Parfois pour des grands dessins, comme mon imprimante est petite, je fais des découpes et un montage de ma multitude de pages. J’ai pour finir mon croquis en géant que je transfert sur mon support en transparence à l’aide de ma table lumineuse. À ce stade, je commence à rentrer dans le détail, à peaufiner les expressions et les attitudes de mes personnages, à rajouter des éléments qui étaient trop petits pour le croquis. »
Ce crayon rouge me rappelle le dessin technique au lycée… Mais, pourquoi un crayon rouge ?
« L’utilisation d’un crayon rouge est une habitude qui me vient de l’époque où j’effectuais des recherches pour le dessin animé. Les placements/constructions étaient fait au rouge ou bleu et je « cleanais » au crayon. Lorsqu’on photocopiait le dessin, avec les photocopieuses moins performantes de l’époque, le crayon rouge disparaissait. Je me suis aperçu en travaillant sur mon univers avec mes bestioles que la présence de cette couleur rouge sous-jacente interpellait les gens et faisait partie de mon identité, il m’a semblé important de ne pas l’effacer. Je reporte uniquement les contours des formes sans les ombres pour avoir une construction du dessin tout de même assez légère tout en « ligne pure » ».
Et ensuite ?
« Une fois cette étape faite c’est là que je rentre dans le gros du travail. Quand j’utilise du crayon sur un grand dessin je commence le dessin par le haut en prenant garde de placer une feuille de protection sous ma main pour ne pas tout étaler ! Quand il est plus petit le risque est moins grand et je peux le commencer n’importe où. J’ai mon croquis à côté de moi à ce stade, c’est lui qui me sert de référence pour rendre l’ambiance et respecter l’ambiance et la direction de lumière que je m’étais fixé. J’utilise à nouveau ma documentation ou bien même de nouvelles images que je cherche sur le net. Très souvent je fini le dessin avec un certain niveau de contraste puis je reviens dessus une fois que j’ai fini l’ensemble. J’assombris certaines zones et en estompe d’autres pour avoir le résultat que je recherchai. La difficulté pour mon travail est d’avoir quand même une image assez claire malgré la multitude de détails. »
C’est la partie la plus longue, en quelque sorte. Que tu utilises la mine graphite, la pierre noire, le feutre ou bien encore l’acrylique, tu choisis donc toute sorte de techniques pour arriver au résultat souhaité. Cette dernière étape peut te prendre combien de temps ?
« Souvent des centaines d’heures à elle seule ! Pour les dessins à l’encre ça demande encore plus de concentration car je ne peux pas revenir en arrière parce que je ne fais aucune retouche à l’encre blanche. Il ne faut pas que je fonce trop certaines zones pour que les dosages des contrastes avec ma méthode façon « gravure » fonctionnent. »
Il est également très intéressant d’observer le processus de création en comparant l’œuvre finie avec son esquisse pour constater que tu ne laisses rien au hasard !
Bien que certaines de tes œuvres soient colorées (notamment les éditions) c’est surtout dans tes dessins en noir et blanc que l’on apprécie ta maîtrise technique et la force du jeu entre les ombres et la lumière. Un rayon naturel qui se pose sur une clairière ou bien un effet projecteur surnaturel qui vient lécher le visage des créatures… Le clair-obscur souligne le caractère mystique et mystérieux de tes scènes hors du temps et creuse la profondeur, souligne le mouvement. L’environnement naturel grouille dans une agitation bien ordonnée et remplie de vie…
Méthode(s)
« Je n’ai pas la même façon d’appréhender mon travail s’il est éditorial ou s’il s’agit d’une exposition. »
Comment travailles-tu lorsqu’il s’agit d’un livre ?
« Quand on fait un livre on se met au service de l’histoire que l’on veut raconter pour sortir une suite d’images qui serviront une narration. Il faut voir le livre dans son ensemble, chaque dessin ne sera pas forcément le plus beau dessin du monde mais devra de la meilleure façon possible servir l’histoire. De plus, l’ensemble des dessins sont réunis dans un livre qui contraint la taille des dessins à une taille déterminée. Les originaux peuvent avoir des retouches ou bien être retouchés sur ordinateur. Le plus important c’est que le livre imprimé soit réussi. »
Tu réalises bon nombre de livres et catalogues d’exposition, entre autres ces 4 albums que tu as préparé avec Séverine Gauthier. Je les adore, ils sont à croquer ! Mes neveux et nièce en sont fan !
Il y a aussi Bêtes à faire peur toujours en duo avec Séverine Gauthier… que je leur ai offert. Objectivement je suis bien partie pour leur offrir tous tes livres au fur et à mesure des Noël à venir ! et les magnets et les carnets et les cartes… c’est addictif ! (je vous mets quelques images en suppléments en fin d’article).
En fait il y a plein de livres, pour en savoir plus : quelques infos en fin d’article avec les liens pour trouver toutes ces merveilles ! (Et n’oubliez pas votre libraire préféré !)
Lorsque tu travailles sur une exposition, comment abordes-tu ton travail ?
« Je considère que mes expositions sont des expériences immersives que j’offre au spectateur, la création de chaque dessin est décidée en fonction d’un thème, d’une technique et d’un format devant lequel vous pourrez vous plonger, une fenêtre plus ou moins grande sur le monde dans lequel je veux vous transporter. Chaque dessin est travaillé comme une œuvre unique qui s’inscrit dans l’ensemble de la mise en scène de l’espace de la galerie, elles doivent se répondre entre elles. J’essaye vraiment qu’il y ait un véritable rapport physique avec le dessin devant lequel on se trouve, pour essayer de produire des émotions comme celles que je peux ressentir quand je vais voir des expos… Et puis évidement ils sont en vente alors je suis très heureux quand mes créatures sont adoptées, elles sont aimées et regardées avec tendresse et ont une bien plus belle vie que dans mes cartons. »
Reconnaissance internationale
Ces années de 2007 à 2009, années de pures créations, ont été un tremplin fantastique pour que tu sois reconnu à un niveau international. Tout ce travail t’a permis, entre autres, de te faire un nom et d’être repéré pour avoir ta première exposition en solo au sein de la galerie Strange Factory, à Albuquerque. Ce projet a été un vrai challenge pour toi qui commençais à réaliser des pièces de plus en plus importantes. C’est également de début de nombreuses expositions de tes œuvres aux quatre coins du Monde : New York (Haven Gallery), San Fransisco (Spoke Art Gallery), Los Angeles (Nucleus Gallery), Danemark (Artmind Gallery, Aarhus), Japon (Shibuya Hikarie Museum, Tokyo), Australie (Peanut Gallery, Adelaïde), Italie (Dorothy Circus Gallery, Rome) et en France à la galerie Glénat.
« Cette visibilité internationale me permet de toujours continuer d’améliorer mon style et mes créations, allant de plus en plus loin dans la taille de mes illustrations. »
Projets en cours et à venir
Avant de parler des projets en cours et à venir, j’aimerais beaucoup que tu reviennes sur ce magnifique évènement qui s’est tenu à Aix-en-Provence l’été dernier. « Zoo Monsters », ton bestiaire exposé dans le cadre des Rencontres du 9ème art du 3 Juillet au 29 Aout, et dont l’écho est l’exposition en cours/à venir à Blois (c’est bien cela, non ?)
« Oui ! »
Là c’est un peu la décoratrice qui te formule cette demande, puisque si je ne me trompe les salles étaient travaillées dans l’esprit d’un cabinet de curiosité avec un papier peint signé Stan Manoukian pour l’occasion. De là à la commande de revêtement muraux pour des projets de déco, il n’y a qu’un pas !
En quelques mots, et avec le recul que tu as aujourd’hui, quel a été le plus gros challenge pour toi ? Et qu’as-tu préféré pendant le déroulement de cet évènement ?
« L’expo d’Aix ne s’est pas faite toute seule, c’est un travail d’équipe ! Serge Darpeix des rencontres du 9e art est à l’origine du projet, c’est avec lui et Olivia Tournadre, décoratrice, que nous l’avons montée. L’idée était de découper l’espace en plusieurs petites parties qui composait un ensemble dans lequel le spectateur était complètement immergé dans mon univers. Nous y avons associé des éléments, graines, nids et taxidermies issues du fond du musée d’histoire naturelle d’Aix. Nous voulions aussi montrer le plus possible la diversité de mon travail à travers mes recherches, mes carnets de croquis, mes grands dessins et mes sculptures.
Ce qui était nouveau également pour moi c’est qu’au-delà de l’exposition Serge nous avons élaboré une chasse aux monstres à travers un jeu ou chacune des cartes étaient disponibles chez un commerçant différent en ville. C’était très excitant de voir le débordement de mon travail en dehors du lieu de l’expo ou tout commençait.
Mon moment préféré a été bien sûr de voir, le public lors du vernissage réagir à ce que nous avions élaboré ensemble pendant plusieurs mois. »
Pendant le premier confinement tu avais créé des monstres à colorier, à découper et à composer, à disposition pour petits et grands (je me suis bien prêtée au jeu !)
La chasse aux monstres et les ateliers pour enfants, c’est un peu nouveau dans ton travail, non ? Qu’est ce qui te touche le plus ?
« Depuis trois ans j’ai conçu des ateliers auxquels participent les enfants (et parfois même les adultes !). Je leur explique comment je crée mes monstres et leur donne des pièces détachées de mes créatures qu’ils découpent et assemblent comme ils veulent, ils peuvent dessiner autour et sont totalement libres. C’est très intéressant de voir la façon dont ils s’expriment, le résultat est différent à chaque fois !
Avec le jeu de cartes que nous avons proposé à Aix il y aussi cet aspect interactif avec le public que je trouve très intéressant, ça permet aux gens d’avoir une approche différente avec mon travail et de se l’approprier. »
BD BOUM, Blois – FRANCE
En novembre 2021, une autre belle expo est prévue à la Halle aux grains de Blois les 19, 20 et 21, pour fêter la 38e édition du festival BD BOUM en partenariat avec les Rencontres du 9e Art d’Aix-en-Provence. Le montage a déjà démarré en octobre.
En quelques mots, tu as transformé l’escalier Denis-Papin de la ville de Blois en un repaire de créatures oniriques, et ce pour des festivités du 30 octobre au 30 novembre 2021, dont la chasse aux monstres qui a démarré le 30 octobredernier.
Pour apprécier l’envergure de l’évènement, je précise que les créatures qui ont précédé tes monstres gentils ne sont pas des moindres, puisqu’il s’agit de Mickey qui s’était installé en 2020, et avant la souris la plus célèbre au monde, c’est Lucky Luke qui avait dégainé plus vite que son ombre en 2019.
Quel effet cela te fait de voir en si grand format tes créatures ?
« C’est très impressionnant ! J’ai déjà eu des dessins agrandis mais jamais au-delà de 4m. Ce qui est original dans ce projet c’est que ce soit un escalier car c’est complètement différent d’une fresque sur un mur. Il y a un aspect 3D inscrit dans la ville sur lequel les passants marchent. Il y a aussi différents points de vue desquels on peut découvrir mon travail différemment. Les têtes de mes monstres se déforment quand on gravit l’escalier, c’est très drôle ! »
Une chasse aux montres et des ateliers pour enfants sont également organisés. Entre autres fameux monstres, on retrouve Krapox, Leechy, Diablo et leurs amis se sont également installés dans des magasins et autres lieux publics du centre-ville. Le jeu est de partir à leur recherche et de collectionner des cartes à jouer originales et ludiques à leur effigie, soit 30 cartes de Monstres sont à retrouver dans 30 lieux partenaires pour constituer le jeu complet.
Il me semble que tu développes de plus en plus d’objets autour de tes créatures, ce qui permet de régaler petits ou grands fans de monstres que nous sommes tous.
As-tu des projets précis quant à l’évolution de ces petits trésors à acquérir et/ou à offrir ?
« Oui plein de projets, magnets, puzzles, jeux de société, etc… mais cela demande du temps à élaborer et il faut aussi trouver les bons partenaires. J’essaye de ne pas trop me disperser et de consacrer un maximum de temps à mes expositions. »
Haven Gallery, New-York – US
En décembre 2021 tu exposeras à la Haven Gallery à New-York où l’intégralité des œuvres seront inédites.
Erica Berkowitz et Joseph Weinreb (de Haven Gallery) se concentrent sur l’exposition d’œuvres d’art d’artistes émergents et établis qui transcendent leur médium et leurs sujets en explorant le monde qui les entoure ainsi que celui en eux-mêmes.
Peux-tu nous donner un avant-goût de cette exposition ?
« J’ai déjà exposé dans cette galerie et je m’y sens à ma place, c’est un plaisir de travailler avec Erica et Joseph.
J’essaye à chacune de mes expos de dépasser ce que j’ai déjà fait en explorant d’autres techniques, d’autres compositions et d’autres thèmes dans l’univers de mes créatures. Dans celle-ci je continue à explorer le travail de l’ombre et de la lumière, et les arbres seront très présents dans beaucoup de pièces présentées. »
Galerie Glénat, Paris – FRANCE
« L’un des plus gros projets à venir en 2022, une grosse exposition à la galerie Glénat à Paris qui me représente et me soutien depuis quelques années maintenant. »
Sera-t-elle l’occasion d’une rétrospective sur l’ensemble de ton travail, storyboard compris ? ou bien sur tous tes monstres, dessinés, sculptés… ?
« Non absolument pas, ce sera une expo de dessins inédits, spécialement fait pour l’occasion, noir et blanc et couleurs. Je vais continuer à développer mon bestiaire mais cette fois-ci autour du thème des contes. »
Rock Monsters, le livre !
« Côté livres pas de projets dans l’immédiat dont je peux parler à par mon prochain livre auto-publié « Rock Monsters » qui devrait sortir en 2022. Ce sera mon 7eme livre auto-produit, je fais absolument tout dedans même le graphisme, c’est bcp de travail mais j’ai une totale liberté, j’adore ça ! »
Un avant-goût pour vous faire patienter… 😉
Stan, MERCI !!!
C’est un réel plaisir de plonger dans ton univers. Tu le sais, je suis une vraie fan de ta pratique de la couleur et admirative de ta patte graphique. Lorsqu’on pourrait être tenté de se dire : « bon… là, comment va-t-il se renouveler ? » tu nous surprends plus encore ! Il me tarde la sortie de Rock Monsters, un livre de plus à acquérir pour la collection de monstres de mes neveux et nièce (euh… je pense que je le garderai pour moi en fait ! Tout comme les prints qui trônent dans mon bureau…) !
Je sais que tu es très occupé, alors un grand merci pour le temps que tu as pris pour rendre possible le post de cet article qui, j’espère, aura donné envie à d’autres de se plonger dans ton merveilleux bestiaire.
Pour terminer en images, voici quelques extraits de tes certains de tes livres, ceux auto-produits que l’on peut acheter sur ton shop :
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